Et voilà la suite promise de la nouvelle Famine, je vous ai fait attendre, mais elle est enfin là ! La faute en est aux études et à tous les livres de politique que je dois lire... Et autant vous dire que ceux-là, je ne vous les présenterai pas !
Famine, Partie 2
Mes parents n’eurent plus de quoi
nous nourrir convenablement. Tandis que certains émigraient vers l’Angleterre,
le Canada, les États-Unis ou l’Écosse, ma famille refusait d’abandonner ses
terres et de s’enfuir. Ils voulaient rester, résister face à la mort, quelque
soit le résultat. Il fallait garder les terres de nos ancêtres. Ce choix me
ravissait : j’aurais préféré mourir que quitter cet endroit. J’étais
persuadée que je ne pourrais pas survivre loin de lui.
Un soir alors que le ciel se teintait de merveilleuses couleurs, je rentrai trempée de l’une de mes escapades
pour manger le peu que nous avions à dîner, sans me douter de ce qui se
tramait. L’air sombre de mes parents ne m’avait pas surprise, puisqu’il
semblait désormais gravé sur leurs traits. Mais lorsque mon père ouvrit la
bouche, je sentis que quelque chose était anormal.
-
Alice, ta mère et moi devons te parler. C’est très important.
Je fronçai les sourcils, soudain inquiète.
-
Tu vas aller vivre pendant quelque temps chez ma sœur à Dublin, reprit-il.
-
Non ! m’écriai-je. Jamais je ne partirai, je ne peux pas, j’en
mourrai !
-
Calme-toi, tenta de m’apaiser ma mère. Tu dois être courageuse. La situation de
tout le pays est dure. Nous ne pouvons plus te nourrir, veux-tu mourir de faim
et nous faire mourir avec toi ? Ta tante est mariée à un homme très riche
et égoïste. Il refuse de nous prêter de l’argent. Tu peux aller là-bas, mais
c’est tout ce que ta tante a pu obtenir. Tu seras bien nourrie et nous aurons
plus à manger de notre côté. Tu dois…
-
Non ! hurlai-je. Je refuse ! Je resterai, même si je dois y laisser
ma vie !
-
Cesse donc tes enfantillages ! gronda mon père. Il ne s’agit pas que de tes
petits caprices mais de nos vies à tous trois. Tu n’as pas le droit d’être
égoïste au point de nous condamner ! Nous sommes pauvres et nous ne
pouvons plus manger. S’il y avait eu une autre solution nous l’aurions choisie,
mais celle-ci est la seule que nous ayons trouvée pour l’instant.
Je renonçai à me faire entendre et voulus filer dehors mais mon père
m’attrapa par le bras et m’empêcha de sortir.
-
Tu restes ici. Je ne compte pas te laisser faire n’importe quoi.
Comme il bloquait la sortie, je résolus de monter dans ma chambre en
courant. Je passai ma soirée allongée sur mon lit à pleurer. Je ne pouvais
abandonner mon Connemara.
Pourtant, on ne me laissa pas le choix et je fus envoyée de force vivre
chez ma tante. La ville était trop grande et peuplée à mon goût, moi qui étais
habituée à un voisinage très restreint. En effet, nos plus proches voisins
habitaient à quatre miles, et ce n’était qu’une simple ferme.
Je n’aimais pas cet endroit. Ma tante
faisait tout son possible pour me rendre heureuse, bien que ce fut peine
perdue. Je passais mes journées enfermée dans la chambre qu’ils m’avaient
attribuée. Je ne sortais pas de mon lit, refusais la nourriture, la compagnie
et fuyais la moindre lumière. Il m’arrivait souvent de pleurer, même si je le
cachais de mon mieux, par fierté, je suppose.
Je finis par sortir de ma chambre, ce qui ravit ma tante mais pas son
époux. Il ne supportait pas ma vue, même durant le peu de temps qu’il passait à
la maison. Il me trouvait d’une nature beaucoup trop sauvage, disait que
j’étais mal élevée et qu’il avait sous son toit la honte de la famille. Il est
vrai que mon caractère déjà difficile était pire que d’habitude. J’étais
devenue insupportable, détestable, invivable. Je dois reconnaître que ma tante
était gentille mais bien trop douce, calme, posée, sage et sérieuse à mon goût.
Bref, c’était quelqu’un de fade. Elle me força à sortir quelques fois dans la
ville, désireuse de me voir prendre un peu l’air. Je faisais tout mon possible
pour écourter ces promenades. Je lui faisais du mal rien qu’en pleurant mais
n’en éprouvais pas de remords. Peut-être cela la pousserait-elle à me renvoyer chez
moi, mais j’en doutais.
Au bout de trois mois, ma tante tomba gravement malade et le mal eut
raison d’elle en seulement deux semaines. Mon cœur endurci en fut un peu
touché, mais le sentiment qui prédomina à ce moment-là fut tout autre que le
chagrin. Son mari allait à coup sûr me réexpédier chez mes parents et je
reverrai enfin mon Connemara. L’espérance planta ses graines dans mon cœur
aride. Lorsque je fus certaine de retourner chez moi, je sentis des bourgeons
prêts à éclore dans ce cœur. Mais lorsque j’arrivais enfin dans mon Connemara,
j’eus la sensation qu’une centaine de fleurs poussaient dans ma poitrine,
éclairant mes traits d’une joie intense. Je l’avais retrouvé. Il était là, sous
mes yeux, plus beau encore que dans mon souvenir. Je bondis de joie en posant
le pied dans la plaine.
Mes parents ne furent pas ravis de me revoir, comme je l’avais imaginé.
Ils se torturaient l’esprit afin de trouver une solution. Je les trouvais
d’ailleurs très amaigris. Le contraste entre les conditions de vie ici et celles de mon oncle à Dublin me frappa
tout autant que l’égoïsme du veuf. Nous n’avions rien à manger. Je refusais de
rester à la maison le jour car je sentais la fin proche. Il me fallait profiter
de mon Connemara au maximum tant qu’il en était encore temps. Car je ne savais
rien de la sensation que me procureraient mes pieds foulant le sol, mes cheveux
dans le vent, la pluie sur mon visage, une fois morte. Tout cela m’était
inconnu. En revanche, j’étais persuadée que je reviendrais hanter ces contrées
pour l’éternité.
Un soir je rentrais pour dîner et fus étonnée de trouver là un jeune
homme discutant avec mon père dans le salon. Il semblait riche car il était
très bien vêtu et pas maigre comme mes parents. Quant à moi, les deux semaines
depuis mon retour n’avaient pas suffi à me transformer en squelette mais
m’avaient beaucoup amincie. Il leva les yeux vers moi et m’observa
attentivement avant de sourire d’une façon insupportable qui révélait une
assurance et une arrogance insoutenables, comme si je lui appartenais. Il avait
un fort beau visage gâté par l’orgueil, l’air désagréable mais bien élevé et
arborait ce stupide petit sourire, à la fois mauvais et fier. Je vis au premier
regard qu’il était mon contraire. Je devinais qu’il était très ennuyeux et sérieux,
le genre de personne qui passe tout son temps à se vanter de sa réussite
professionnelle et qui ne daigne sourire que pour se moquer.
-
Alice, voilà monsieur Davy McCann, m’informa mon père.
-
Ravie de vous rencontrer, lançai-je d’un ton ironique et insolent démontrant
que je pensais tout le contraire.
-
Monsieur, voici ma fille, Alice, me présenta mon père en me fusillant du
regard.
-
Mademoiselle, me salua McCann en s’emparant de ma main, vous n’imaginez pas la
joie que j’éprouve à vous revoir.
Il embrassa ma main, puis la relâcha à contrecœur. Je regrettais
amèrement de ne pas avoir porté de gants. La beauté ne suffit pas à rendre une
personne sympathique, il en était la preuve vivante.
-
Elle l’est aussi, lui assura mon père, gêné par mon comportement glacial.
Je le gratifiai d’un regard mauvais. Je n’avais pas à plaire à cet
inconnu ! L’intrus ne se laissa pas convaincre.
-
En effet, elle semble réellement enchantée, répliqua-t-il, amusé.
Je laissai échapper un petit rire et le fixai avec mépris. Il se croyait
supérieur à nous grâce à son argent, cela se voyait bien. Voilà un comportement
qui méritait une petite leçon, non ?
-
J’ai oublié quelque chose, mentit mon père, je reviens. Alice, tiens compagnie
à notre invité.
-
Avec joie, lâchai-je, de nouveau ironique.
Il sortit en ignorant royalement mon air dégoûté.
-
Je pense que vous ne m’aimez pas beaucoup, en déduisit McCann une fois mon père
parti.
- Et vous avez raison.
-
Vous changerez d’avis, vous verrez. Venez donc vous promener avec moi dans
cette si belle plaine.
-
Je n’aime pas être accompagnée. Quant à mon avis, ne vous faîtes pas
d’illusions : je suis très têtue. Je ne vous donnerai qu’un conseil :
ne vous fatiguez pas en vain, restez loin de moi. Ce sera mieux pour tout le
monde.
-
Très bien, restons à l’intérieur. Après tout, je peux bien me permettre d’être
généreux. Nous serons mariés d’ici peu, me provoqua-t-il en ignorant mon
conseil.
-
Pardon ? m’exclamai-je. C’est impossible…je…je n’ai rien accepté…je ne veux
pas être votre femme !
-
Vos parents n’ont plus assez d’argent pour vivre et pour vous faire vivre, et
je peux tous vous sauver de la mort. J’ai beaucoup d’argent vous savez et…
-
Je n’ai que faire de votre argent ! explosai-je. Je ne vous aime pas plus
que je vous connais. Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi vous êtes heureux de me
revoir alors que je ne vous ai jamais rencontré !
-
Je vous ai déjà vue à Dublin. L’un de ces après-midi où vous étiez sortie avec
votre tante. Je ne vous connais pas non plus très bien. Nous n’avons qu’à faire
connaissance.
-
Non ! Je ne veux pas vous revoir, disparaissez !
-
Ne soyez pas stupide ! Je suis idéal pour vous. Je suis riche et
séduisant, nous ferions un couple magnifique !
-
Et c’est qu’il est humble en plus ! grognai-je. Taisez-vous !
-
Mademoiselle…Alice, je vous aime.
-
Faux !
-
Comment pouvez-vous affirmer cela ? me demanda-t-il.
-
Parce que vous ne me connaissez même pas !
-
Mais je le sais depuis que je vous ai vue. Vous êtes si belle…
-
J’en ai assez entendu ! grondai-je en bondissant vers la porte.
Il s’interposa et m’empêcha de passer.
-
De toute façon vos parents sont d’accord et la date du mariage est déjà fixée
au le mois prochain. Ils n’ont plus rien à manger. Si vous ne m’épousez pas,
vous mourrez tous les trois. Leurs vies sont entre vos mains… Pensez-vous avoir
le droit de laisser mourir vos parents ?
-
Jamais je ne ferai la bêtise de vous épouser ! Jamais,
m’entendez-vous ? Je ne vous aime pas, je ne partirai pas avec vous !
C’est hors de question ! Plutôt mourir !
-
Sauf qu’il ne s’agit pas là que de votre vie mais aussi de celle de vos
parents. Etes-vous à ce point égoïste et moi à ce point repoussant ?
Toutes les femmes de Dublin me courent après et vous, vous me fuyez ? Pourquoi ?
-
Parce que je ne vous aime pas ! Combien de fois devrai-je encore vous le
dire ? Etes-vous stupide au point de ne pas comprendre lorsque l’on vous
parle ? braillai-je en fonçant vers l’autre porte.
McCann attrapa mon bras avant que j’aie pu m’enfuir. Ce membre me
portait décidément malheur.
-
Alice…vous avez le choix entre le jour et la nuit éternelle, entre aimer ou
tuer.
-
Partez le plus loin possible et lâchez-moi sur le champ ! lui ordonnai-je,
débordante de haine.
Mon animosité à son égard était telle qu’il fut déstabilisé quelques
instants et desserra sa poigne. J’en profitai pour m’éclipser en quatrième
vitesse dans ma chambre.
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