lundi 14 septembre 2015

Un jour, peut-être, la guerre me recrachera de sa gueule puante



Un jour, peut-être, la guerre me recrachera de sa gueule puante

                Ce jour-là, la pluie tombait dru sur les brins vert tendre de la campagne. Debout devant la fenêtre, je la regardais tomber sans relâche, s’abattant toujours avec une ténacité désolante. Mon cœur, lui aussi, se gonflait des larmes qui affluaient à mes yeux mais dont je retenais le cours de toute mon âme. Derrière moi, j’entendais le lent souffle de l’homme qui se tenait là, sans savoir que faire.
                – Marie…
                Mais, loin de me tourner vers lui, je me serrai plus étroitement contre la fenêtre en me tordant les mains, la poitrine secouée par un sanglot. Je ne voulais pas le voir. Ce serait revenu à accepter une réalité qui me faisait horreur. Non, je ne pouvais affronter cela en face. Je ne pouvais croiser encore ce regard résigné qui cachait trop bien une souffrance que je n’étais pas capable de dissimuler. Dehors, les croassements d’un corbeau mécontent me firent frémir. N’était-ce pas un présage funeste ? L’atmosphère n’en devint que plus lugubre et mon cœur n’en enfla que davantage, faisant battre si fort le sang à mes tempes qu’aucun autre son ne me parvenait plus.
                – Je n’ai que trop tardé… Adieu, Marie.
                Devant la maison, les voix fortes d’une jeune troupe vinrent jusqu’à moi, portées par le vent. Le parquet grinça sous les pas de l’homme qui s’éloignait. Je devais être forte. Je ne devais pas pleurer. Je ne devais pas crier. Pourtant, une larme traîtresse m’échappa, roulant le long de ma joue blême, et mon visage se tordit en un masque de douleur. N’y tenant plus, je m’élançai sur ses pas. Il ne m’était plus possible de réfréner le bouillonnement qui déferlait en mon sein. Lorsque je sortis de la maison, il avait déjà rejoint ses compagnons à l’arrière de la voiture. Je croisai son regard d’un bleu limpide et ne pus m’empêcher d’admirer le courage dont il faisait preuve.
                « Je reviendrai », souffla-t-il, mais je ne pus que lire sur ses lèvres les mots que j’aurais tant voulu croire.
                Le silence dans lequel je me murais n’était plus supportable. Alors que la voiture démarrait, je me jetai à sa suite sur le chemin boueux et hurlai :
                – Pierre !
                Ce cri déchira la paix de la campagne et se perdit dans les rafales célestes. La voiture s’éloignait toujours, jusqu’à disparaître à l’horizon, là où tout se fond dans l’inconnu. Je tombai à genoux, à bout de forces. J’ignorai combien de temps je restai là, effondrée dans la boue, à attendre que la pluie enfonçât dans ma poitrine un mal irrémédiable, le seul qui pût arracher l’insupportable douleur qui me vrillait le cœur.

2 commentaires:

  1. Il est magnifique. Tout est juste, correct, sans fausse note. Les descriptions sont magnifiques. Bref, un vrai coup de cœur.

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    1. Merci pour ton gentil commentaire, et contente de voir que ça te plaît, ça me touche vraiment !

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